Catégorie : Spectacle
Genre : Humour
Année : 2008
Public : Tous Publics
Durée : 1H47
Nation : France
Mise en Scène:Dieudonné M’Bala M’Bala
Interprète : Dieudonné M’Bala M’Bala
Sujet : Dieudonné est-il devenu fou ? Il a choisit pour parrain de sa fille le président du Front National Jean Marie Le Pen. Il revient tout d’abord sur cet évènement qui a défrayé la chronique puis enchaîne sur des sujets de société tels que la violence, le racisme, l’Afrique, la mémoire de la Shoah, Les attentats du 11 septembre, les Etats Unis, la Guerre en Irak, les affaires sordides. Un programme chargé et piquant.
Analyse critique :
(Attention SPOILERS!)
Nous continuons notre cycle Dieudonné avec du lourd, du très lourd même, puisqu’aujourd’hui j’aborde l’un des ses one-man-show les plus piquants, j’ai nommé : J’ai Fait L’Con. Ce nouveau spectacle qui est donc le neuvième en solo (et le douzième en tout) de la carrière de l’humoriste est une véritable bombe qui marque le début d’une nouvelle ère pour l’artiste.
Jusqu’alors on pouvait diviser la carrière de Dieudonné en deux axes principaux. Le premier concernait sa période 1991-1997, de son premier spectacle avec Elie Semoun, Elie et Dieudonné jusqu’à son premier one man show Tout Seul. Une période prolifique où l’humoriste marchait pour le système et était très populaire auprès de l’intelligentsia. Puis l’an 2000 marqua le début du second axe avec son spectacle Pardon Judas. Une ère qui a pris fin avec Best Of en 2007. Cette période était très chargée en polémique, l’humoriste était devenu de plus en plus subversif et se caractérisait beaucoup par un athéisme profond et une critique virulente de la société. Pour autant, on pouvait sentir comme un léger déclin. En effet, Dieudonné n’était plus médiatisé et ne pouvait plus faire la promo de ses one mans shows. Grillé dans le milieu du spectacle il ne pouvait compter que sur le bouche à oreille. L’humoriste sombrait donc quelque peu dans l’oubli. De plus on semblait percevoir un léger manque d’inspiration chez lui.
Mais en 2008, alors qu’on ne parle plus du tout de Dieudonné, l’artiste se retrouve soudain sur le devant de la scène médiatique. Les unes de journaux parlent de lui. La raison de tout cela, un évènement qui fit l’effet d’une bombe : Dieudonné fit parrainer sa fille Plume par le président du Front National Jean Marie Le Pen. Comment appréhender un tel acte ? Comme une superbe performance artistique et un coup de génie de la part de Dieudonné. Mais développons et resituons les choses dans leur contexte.
Les relations de Dieudonné avec le Front national ont beaucoup évolué. En 1997, il décrivait ce parti comme « un cancer » et insultait copieusement Jean Marie Le Pen. En 2002 il s’était montré encore plus virulent. Mais en 2006, il s’était rendu à la réunion « Bleu, Blanc, Rouge » dans l’optique de dialoguer (j’en renvoie à ma chronique du spectacle Dépôt de Bilan). A l’époque, alors qu’on ne parlait déjà plus trop de Dieudonné, la presse avait sauté sur l’affaire et avait repris cet évènement pour diaboliser l’humoriste et le faire passer pour un fou ayant rejoint le Front National (il faut savoir que Dieudonné n’a jamais rejoint ce parti ni même appeléà voter pour lui). Les choses sont claires : on ne parle plus de Dieudonné, sauf quand ça peut lui faire du tort ou le diaboliser. Autant dire que la partie semble perdue pour l’humoriste face à des médias manipulateurs qui se sont juré de le tuer artistiquement et financièrement. Mais là où il va se montrer absolument génial, c’est qu’il va piéger les médias à leur propre jeu. Ayant besoin de refaire parler de lui pour vendre son prochain spectacle et revenir sur le devant de la scène, il décide d’organiser cette idée d’un parrainage de sa fille Plume par l’ « un des plus grands infréquentables de France » comme il le dit si bien, le président du Front National Jean Marie Le Pen. « C’est du sanguinolent » comme il déclare dans son spectacle.
C’est risqué mais l’humoriste sait ce qu’il fait. Les médias se jettent à pieds joint dans ce piège. Pour eux c’est du pain béni, ils pensent tenir là l’occasion définitive d’enterrer Dieudonné, c’est le coup de grâce. Une large partie de son public, notamment ceux issus de l’immigration, ne pourra pas, selon les médias, pardonner cela à l’humoriste. Il passera pour « un fou ayant trahi totalement ses idéaux ». De plus, cela devrait prouver que Dieudonné est d’extrême droite. Pour les médias c’est clair, l’artiste n’y survivra pas et son public le lâchera. La réalité ? C’est exactement le contraire qui s’est produit !
L’humoriste va en fait se remettre sur le devant de la scène, et celui qui vivait retranché dans son petit théâtre de la Main d’or, se remet à remplir de fond en comble le zénith de Paris. Les gens sont tous venus voir l’artiste qui fait tant polémique depuis des mois. Comment d’ailleurs sera vu ce parrainage avec Le Pen par le public ? Beaucoup, comme par exemple Romain Bouteille et Bruno Gaccio, y verront une superbe performance artistique. D’autres y verront un signe plus politique et notamment un symbole de réconciliation nationale. En effet outre la performance, on peut y voir un gros bras d’honneur (ou plutôt une grosse quenelle) adresséà l’intelligentsia et à des associations comme SOS Racisme (dont Dieudonné a fait partie par le passé) qui, sous prétexte de l’antiracisme, contribuent au contraire à créer des tensions et de la haine entre les communautés et notamment entre les français issues de l’immigration et les français de souche (pardon, il est vrai que ce mot est désormais interdit !). Le message de cette alliance peut se voir, comme « Vivons tous ensemble malgré nos différences et oublions les conflits communautaires qui ne mènent à rien ». Ceci dit, je pense que la démarche relève une fois encore avant tout de l’art et de la performance. D’ailleurs, concernant cette histoire de parrainage, il y’a depuis longtemps un grand débat entre les fans de l’humoriste, à savoir si cet évènement : la cérémonie de parrainage, a réellement eu lieue, ou si c’est un canular dans lequel le président du Front National a accepté de jouer le jeu. Dieudonné l’a-t-il vraiment fait ? Lorsque un an plus tard Frédéric Taddéi lui posa la question à son émission « Ce soir ou jamais », Dieudo maintint le voile et déclara en souriant ; « Est-ce qu’un magicien dévoile ses tours de magie ? ».
Quoiqu’il en soit, cet évènement fait parler et l’humoriste remplit le zénith de Paris dans ce qui fut décrit par la presse comme « le plus grand rassemblement antisémite depuis la seconde guerre mondiale ». En réalité selon la version officielle des médias, cela aurait dû en fait être « le plus grand rassemblement antisémite » depuis le spectacle Mes Excuses, qui à l’époque avait déjà reçu le titre honorifique et prestigieux de « Plus grand rassemblement antisémite depuis la seconde guerre mondiale », titre décerné par ailleurs par BHL s’il vous plaît ! Mais bon que voulez vous, à force de dire des conneries plus grosses qu’eux, les journalistes ne savent plus trop où ils en sont.
Le spectacle J’ai fait L’Con est donc enregistré au Zénith de Paris devant un très grand public.
Après une entrée fracassante, Dieudo évoquera donc en premier lieu le baptême de sa fille et le parrainage avec Le Pen. Un sketch assez amusant où l’humoriste joue avec humour de la diabolisation faite autour du président du Front National. Il fait également venir sa fille Plume qui serait donc la filleule de Le Pen.
Il enchaîne ensuite avec « l’Effet Dieudonné » sketch qui fait référence à une citation de Julien Dray qui suite au meurtre du jeune juif français Ilan Halimi par le « gang des barbares » avait déclaré« c’est l’effet Dieudonné ». L’humoriste se moque avec talent de ce chantage ridicule en évoquant un « effet Dieudonné » qui transforme quiconque voit ses sketchs en psychopathe néo-nazi.
Puis arrive l’un des sketchs les plus cultes de l’humoriste « Les Pygmées ». On a souvent reprochéà Dieudo ses blagues sur la communauté juive, pourtant son sketch le plus trash et le plus « raciste » (j’insiste sur les guillemets), c’est sans conteste « Les Pygmées ». Honnêtement, c’est absolument horrible, on atteint des degrés d’humour noir et trash vraiment élevés. Et pourtant c’est tellement drôle et hilarant ! L’humoriste se lâche complètement. Une fois encore, « les Pygmées » est considéréà juste titre comme son sketch le plus trash et hardcore.
Il dérive d’ailleurs ensuite sur « Weekend chez mon Père », évoquant ses vacances au Cameroun. Là encore le Cameroun et l’Afrique en général en prenne pour leur grade.
Arrive ensuite le sketch qui fera beaucoup polémique, celui du « Pyjama »également connu sous le nom de « sketch du déporté juif ». Il met en scène son régisseur Jacky Sigaux vêtu comme les déportés des camps nazis. Dieudo insiste alors pour que Jacky fasse un passage sur scène alors que ce dernier ne paraît pas très chaud. De la provocation ? Non pas du tout. En réalité le sketch est très explicite et Dieudonné se moque de la directive du président de la république de l’époque Nicolas Sarkozy. Ce dernier avait demandé que la mémoire d’un des enfants juifs déportés soit confiée à chaque élève de classe de CM2. Une directive qui avait polémique à l’époque. Le sketch met alors en sène une seconde directive qui impose la présence d’un déporté juif dans tous les spectacles. Tout au long de l’évolution du sketch, Dieudonné se moque avec piquant et talent de la hiérarchisation des souffrances et de la sacralisation de la Shoah comme une sorte de nouvelle religion surpassant toutes les autres horreurs de l’histoire et devant laquelle il faut se soumettre. Sujet tabou mais très finement amené par l’artiste. A l’époque, certains accuseront Dieudonné de se moquer des déportés juifs, ce qui n’est évidemment pas le cas. D’ailleurs même Arno Klarsfeld, peu suspect d’être un sympathisant de l’humoriste, démentira cette rumeur.
Vient ensuite « Le Mensonge », où Dieudonnéévoque notamment les mensonges des politiques, se moquant de Colin Powell et sa petite éprouvette, de la politique extérieure américaine et surtout de George W. Bush qu’il décrit comme un Dieu devant lequel il s’agenouille lui dédiant un notre père revu et corrigé :
« George W. Christ ! Je te salue George. Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne sur la terre comme dans ses sous-sols si riches en pétrole. Ton sang livré pour nous humbles consommateurs. Soumets-nous à la tentation, au vice et envoie nous faire la guerre contre les musulmans. Amen. »
Et on enchaîne évidemment sur « George W. Bush ». Superbe sketch dans lequel l’humoriste nous livre une imitation hilarante du président des Etats Unis figurant dans le top 10 des plus grands criminels de l’histoire. Il débute avec un accent américain en déclarant « Bonjour La France ! Je m’appelle George W. Bush, je suis le quarante-troisième président des Etats Unis d’ Amérique. (Il fait ensuite mine d’esquiver une chaussure lancée vers lui). Mon pays, les Etats Unis d’Amérique s’est bâti sur le plus gros génocide de l’histoire du monde, le massacre des indiens d’Amérique. Après nous avons fait le deuxième génocide dans le monde, l’esclavage pour les noirs. Niggers ! Niggers ! Nous sommes le seul pays dans le monde qui a jeté la bombe atomique sur des civils ». Le ton est donc donné, indiquant que certains feraient mieux de balayer devant leur porte avant de jouer les justiciers du monde. Il revient également sur les controverses concernant l’élection de Bush. Il enchaîne ensuite sur les attentats du 11 septembre avec cette phrase culte : « Nous avons organisé les attentats du 11 septembre. Jean Marie Bigard a raison ! » faisant ainsi un clin d’œil aux polémiques entourant son collègue humoriste. Tout ceci n’est qu’un prélude mais Dieudo se paye littéralement Bush et sa politique.
On a ensuite une parodie du Parrain, où l’humoriste joue un mafieux influant sur la politique américaine. Colin Powell passe également à la trappe de façon copieuse.
Le suprémacisme américain est donc particulièrement visé au cours de ce spectacle.
Mais il n’y a pas qu’en Amérique que la politique est critiquable, et l’humoriste enchaîne avec le sketch « Président Maréchal Mukuna » où il incarne un dictateur africain interviewé par une journaliste.
Puis arrive « L’émission : une vie une histoire » qui s’intéresse aux scénarios les plus sordides invitant des victimes de séquestration, tortures ou viols. Dans ce sketch Dieudo se moque cette fois des émissions à sensations qui n’hésite pas à tomber dans le voyeurisme et le malsain.
Il conclut son one-man-show avec un hommage à son défunt ami Claude Nougaro. Il imite alors le célèbre chanteur français et interprète une superbe chanson mélancolique intitulée « Palestine » racontant l’histoire d’un jeune palestinien désespéré qui décide d’aller se faire sauter dans la foule. C’est le moment touchant, dramatique et émouvant du spectacle.
Autant le dire tout de suite, avec J’ai fait L’Con, Dieudo revient en force. Ce nouveau spectacle marque une ère nouvelle dans sa carrière. L’humoriste atteint là une période d’apogée. Son jeu est encore meilleur, l’écriture encore plus géniale et la mise en scène toujours plus belle et efficace. Cela dit, je trouve que sur les deux derniers sketchs on a une petite baisse concernant le rythme et la qualité de l’humour. On ne rit plus toutes les cinq secondes comme dans les trois premiers quarts du spectacle. Mais bon on rit quand même aux éclats.
En termes d’humour, on est encore monté d’un cran mais aussi en terme de subversion, car J’ai Fait L’Con se révèle particulièrement piquant et transgressif. Beaucoup plus que les précédents.
C’est également à partir de ce one-man-show que les gestes de la quenelle et de « Au dessus c’est le soleil » vont devenir récurrents dans l’œuvre de l’humoriste.
Ce nouveau spectacle est bel et bien une totale réussite.
Il fera cependant scandale, la presse décrivant comme toujours un show « antisémite », « anti-américain », « raciste » voire même « terroriste ».
La polémique atteindra cependant des sommets quand, lors d’une représentation au Zénith de Paris, Dieudo invitera sur scène le professeur Robert Faurisson, célèbre révisionniste connu pour ses thèses subversives visant à contester l’existence des chambres à gaz homicides dans les camps nazis. L’artiste lui remettra devant un grand public (au milieu duquel se trouvaient notamment des personnalités comme Jean Marie Le Pen et Kemi Seba) le « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence ».
L’affaire fera scandale dans les medias. La LICRA et le CRIF réclameront même de la prison ferme pour Dieudonné ! Cependant Serge Klarsfeld, le célère « chasseur de nazis », déclara qu’il ne trouvait pas matière à attaquer l’humoriste en justice (qui le sera quand même comme toujours). De son côté Dieudonné dans une version réadaptée de ce spectacle évoquera cette affaire et affirmera avoir fait « une bombe médiatique » en ayant choisi comme matériel un mec encore plus « infréquentable » que Le Pen.
Quoiqu’il en soit, la polémique ira peut-être encore plus loin qu’en 2004 et on parlera d’interdire les spectacles de Dieudonné. La pression des lobbys comme le CRIF et la LICRA portera ses fruits et l’humoriste sera interdit de salles de spectacles. Sa tournée tombera plus ou moins à l’eau. Mais infatigable, l’artiste s’achètera un bus pour jouer ses spectacles. Le bus sera d’ailleurs baptisé« Le Théâtre Rosa Parks ». Telle fut la seule solution pour lui de continuer à jouer dans le « pays de la liberté d’expression ».
D’ailleurs si on s’est offusqué du spectacle de Dieudonné, on notera avec humour qu’à la même époque, personne ne s’offusquera lorsque sur un plateau télévisé suisse, Pascal Bernheim traita Dieudonné de « nègre » pour expliquer « son manque d’intelligence ». Il y’eut même quelques rires sur le plateau mais aucune polémique. Ce qui est normal dans un pays de liberté d’expression. Mais cette liberté doit être accordée à tous. D’ailleurs, Dieudonné pour répondre à ses adversaires avec leurs propres armes attaqua Bernheim en justice mais la plainte fut rapidement classée sans suite. Cette affaire démontre une nouvelle fois qu’en France on s’offusque non pas en fonction du propos mais en fonction de la communauté ou de la personne ciblée.
Si la polémique l’avait remis sur le devant de la scène donc, Dieudonné en disparaît assez vite et passe du zénith à l’autocar. Malgré tout il continue. Plus que cela, cinq ans après Le Divorce de Patrick, il parvient à reconquérir une nouvelle fois le public passant au-delà du scandale. Tout cela démontre une chose, le talent ne ment pas.
J’ai Fait L’Con s’impose donc comme l’un des meilleurs spectacles de l’humoriste. Clairement on en redemande. Un incontournable pour les fans de l’artiste.
Note : 18,5/20
Note Quenellière : Quenelle Epaulée !